Ma petite entreprise

Est-ce qu'il faut que je profite sans états d'âme de cette période où tous les fruits, les murs comme les précoces, tombent dans mon panier sans même que j'aie à trop gauler les arbres? Sans doute que oui. Car je me souviens que la dernière fois que nous nous sommes vus (au "Café Fertig", je crois), Carole m'avait recommandé de tirer le meilleur parti cette quarantaine où la capacité de séduction est, semble-t-il, à son apogée.
Je ne suis pas encore reparti pour Berlin que déjà se profile une excursion, bien sûr prometteuse, sur les plages du Royaume Uni. Projet par ici, projet par là-bas. Le week-end, les messages s'empilent dans les fenêtres de chat. Au final, les compagnies low-cost profitent des touristes sexuels comme moi. Ma petite entreprise, connaît pas la crise, comme disait justement l'autre... Mais je me vois agir. Créer des mécanismes compensatoires. La perspective du prochain week-end berlinois me fait un peu peur. J'essaie de chasser de mon esprit cette pensée sinistre, de rester sourd à cette petite voix qui me répète qu'avec mon hôte, nous ne nous rencontrerons pas vraiment. La première fois, j'ai exploré. La deuxième, flambé. Et la troisième? Il faudra probablement souffler un peu sur les braises... Pour échapper à la déception, je sens que j'investis déjà la prochaine étape, au détriment de celle qui n'est pas encore achevée. Mais au fond, je ne suis pas sûr de (vouloir) lui laisser une chance. Il faut vraiment que j'essaie la pensée positive.
Pour l'heure, je vois surtout ce qui cloche. Je vois que nos aires de jeux sont adjacentes, et pas forcément superposées. J'ai eu plaisir à les explorer mais je crois avoir vu ce que je voulais voir. Mon approche reste superficielle. Je comprends bien où est ma faute: dans les images à disposition, je n'ai retenu que ce que je voulais y voir. J'ai fait abstraction du reste, quand le reste était prépondérant... On aurait aussi dû communiquer davantage, je trouve. Il n'est pas trop tard pour le faire, pourtant. Je ne me trouve pas très persévérant. Mais pourquoi le serais-je au fond, quand il y a tellement de choix? Tellement de personnes à rencontrer? N'aurais-je finalement qu'une vision consumériste de la sexualité? En fait, j'ai sans doute besoin d'avoir, toujours, un projet enthousiasmant dans ce domaine. Ce mécanisme a ceci de pervers qu'il pousse à la projection. Il alimente le vorace moulin à fantasmes. En Angleterre, je ferai ceci, j'essaierai cela. Ce sera fort! Les piquantes photos des profils s'animent, j'y entre, je me vois déjà jouir à Bournemouth avec la puissance du jet d'eau de Genève, atteindre des extases himalayennes... La visite n'est pas à la hauteur de mes attentes? Pas grave: le prochain plan sera sûrement meilleur.
Le temps d'avant la première visite est une terre fertile. Y poussent les idées les plus exotiques, même les plus folles. Je sens que parfois, mon esprit déraille. Je dois me raisonner. Me dire ce que j'ai compris, maintenant: je pars à la rencontre de chimères, et je trouve simplement des hommes.

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