Le retour des tocards


Revoici les vestiaires mal éclairés du stade de Coubertin. Les gars se connaissent, tout en se changeant ils parlent des courses en montagne, des restaurants où ils iront manger tout à l'heure. Je distingue quelques nouveaux visages. Après l'échauffement, des groupes se forment dans une grande confusion. La lumière se retire, lentement, laissant un monde bleuté, sans contraste. On s'en va au petit trot par le quai, direction Dorigny, dans un nuage d'haleines et de papotages.
23 février. J'avais noté la date (reprise des entraînements collectifs des 20 km), sans imaginer trouver autant de monde au rendez-vous...
De fait, notre groupe est trop grand. Pour l'écrémer, l'accompagnateur nous fait monter au galop vers le centre de Saint-Sulpice. Les retardataires essoufflés iront de leur côté avec un autre moniteur. Nous prenons la direction du Motty. Je pense au MMS du Poulet, sûrement plus à son aise dans la majesté enneigée des alpes grisonnes que dans ce groupe bavard, braillard, qui court et souffle maintenant dans la nuit. Plaisanteries grasses, gens qui s'interpellent: "Bon Dieu mais quels tocards!" ricanerait Mig. Je me dis que je peux bien les supporter deux mois par année, que c'est un moindre mal... Quand tout à coup, le groupe prend de la vitesse. On accélère clairement. Voilà qu'on attaque le Motty par un chemin résidentiel, en longeant les immeubles éclairés de l'EPFL (chaque année ils semblent en avoir construits de nouveaux...) Dans mes jambes, je sens se réveiller des muscles endormis, malgré mes joggings réguliers. Bien sûr: seul, je cours à mon rythme, pépère, je ne force rien. En groupe, on accélère, on court dans des escaliers, on monte et redescend mille fois sur les pyramides de Vidy...
Ce rythme soutenu se maintient au sommet de la colline. On en fait le tour, on redescend vers la Cerisaie, toujours vite, pour attaquer à nouveau la côte par le chemin qui passe devant chez Carla. Puis on s'arrête: tout le monde souffle. Devant nous, les lumières de la ville montent à l'assaut de l'horizon, lui confèrent une dimension surnaturelle. Quelque part, l'éclat bleu d'un gyrophare. Je me sens bien. Je suis content d'être venu. On prend le chemin du retour en traversant les quartiers de villas qui ne finissent jamais. Quelques fenêtres éclairées se découpent ça et là, les lumignons de sonnettes trouent la pénombre de ces allées dont l'éclairage avare se reflète parfois dans de luxueuses calandres, aperçues au passage sous la masse confuse et noire de buissons. On se regroupe au bas d'un chemin, près de la route de Morges. L'accompagnateur crie: "Maintenant on poursuit à onze à l'heure pendant encore un kilomètre, jusque vers la fontaine." On se retrouve en tête du groupe avec trois autres types. On n'entend que le bruit mat de nos semelles sur le bitume des chemins. A la fontaine, on s'arrête. Les autres ne suivent pas. Pour ne pas prendre froid, on rentre plus lentement vers le vestiaire, sous les branches tristes et dégarnies des saules, des chênes, des platanes. Le chemin du bord du lac est parfois très sombre.

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