Le temps des contenus

Sous le ciel bleu, les branches d'un pin, immobiles à travers les vitrages sales. Le petit bureau défraîchi sent le renfermé. J'essaie d'aérer, mais un meuble métallique à tiroirs bloque la fenêtre. La fille revient avec un verre d'eau, referme la porte. On s'assoit. Elle porte une de ces petites robes à motifs à la mode, avec la taille sous les seins, un col rond. Une pimprenelle de moins de trente ans, sans charme, un oeil un peu éteint. La voici lancée à m'expliquer, comme une hôtesse, le champ d'action de son entreprise. Dans les catalogues qu'elle me présente, des exemples de ces fameux contenus que je pourrais, moi aussi peut-être, produire. Des contenus? A imprimer sur du papier pour des yuppies, des amateurs de canassons, des avertis de la finance. Mais aussi, des contenus aussi impalpables que l'éther, qui s'afficheront sur des écrans assez réduits pour entrer dans les poches de vêtement. Voilà. Cliquez. Décrochez. On vous montrera, on vous dira quelque chose. N'importe quoi. Il ne faut juste pas que les contenants que l'époque génère paraissent vides. Il faut les remplir. Avec du texte; de l'image; du son. Tout cela doit bien se produire. Je suis justement là pour ça. Producteur potentiel de vacuité.
Parlez-moi de vous, me dit la fille. Oh! Je connais bien l'exercice. Je m'exécute. Impression d'être un vieux briscard qui a tout fait. J'entends brièvement ma voix résonner dans ce bocal de verre, elle prononce "tout terrain; autre côté de la barrière; Routard..." L'aquarium s'emplit de mots, de paroles. De contenu. A la fin, nous signons un contrat.

Je ressors dans la chaleur. Soudain, entre deux arbres, dans un vrombissement sourd, surgit un avion énorme. Il va bientôt toucher le sol.

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