Acandavi


Lundi soir, lendemain d'hier. Affalés dans le salon blanc de Pascal. Thé, gâteau industriel cochon bourré de crème pâtissière, pétard. Les antennes totalement déployées reçoivent tous les signaux, les ondes sont captées libres du parasitage de la vie ordinaire. Une écoute consciente. Les alitérations casuelles de la conversation paraissent soudain incongrues et portent aux fous rires. Surtout, la musique infuse et révèle ses structures multiples, son filigrane. Des nappes se déploient du fond d'un horizon immatériel. Passe Acandavi de Chris Micali. La ligne de basse me fait suivre le tronc imaginaire d'un arbre, qui pousse alternativement tantôt une branche à droite, puis une à gauche. Aux rameaux de droite correspondent des accords en mode majeur; en réponse, ceux de gauche basculent bientôt en mineur. Cette petite musique semble une démonstration des possibilités, des choix qui s'offrent au fil du temps. Comme un voix qui nous dit que chaque chose et son contraire sont possibles. Que l'on peut faire comme ça, ou bien comme ça. Cette amorce, cette incrémentation laisse ensuite place à une pause en forme de vaste plaine nocturne libérée du martèlement de la caisse claire. Des oiseaux lents la survolent en planant, comme des présages. Ces oiseaux se transforment en phénomènes lumineux qui tournoient dans ce ciel sombre. Après la certitude rassurante du rythme progressif de l'intro, voici que ces aurores boréales inscrivent des doutes, des incertitudes dans la nuit qui recouvre le jardin derrière la maison, et plus loin le verger, et plus loin encore, les champs, et au-delà, toute la campagne noyée dans l'obscurité lunaire.
[On est à la maison, je suis dans mon bain, ma mère penchée au-dessus de moi. Tout à coup elle capte quelque chose, suspend ses gestes. Met un doigt sur sa bouche: il faut se taire. On n'entend plus que le menu ruissellement de l'eau qui tombe de la lavette serrée dans sa main. Je suis son regard inquiet qui pointe vers la petite fenêtre noire, haut placée dans le mur épais. Des voix d'hommes montent de la cour. Ils vont à la cave. La soirée finira peut-être mal.]

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