Le jour du bruit


Jeudi après-midi. Le wagon vieillot qui sent la moleskine cuite est livré aux adolescents, de retour de l'école professionnelle. Près de moi, deux filles commentent leur journée de cours. Plus loin, un appareil nasillard se met à brailler. Une étudiante quitte la voiture en pestant contre cette "musique de merde". J'enfonce les écouteurs de mon iPod pour m'isoler de ces conversations, de ce crachottement musical; je me tourne vers la fenêtre pour échapper à la mauvaise haleine de ma voisine. Cette jeunesse tapageuse s'écoule aux arrêts d'Aigle et Bex, laissant la voiture en paix. A Martigny, la chaleur surprend. Lumière blanche au-delà du quai encombré, puis plongée dans l'escalier obscur. Un sentier vétuste bordé d'orties longe le remblais des voies ferrées et, à gauche, les bâtiments de la vénérable maison Torione & Cie (riz et bricelets).
Deux heures plus tard, je presse le pas dans le sens inverse. Le train du retour est quasi vide. De jeunes Turcs montent et s'assoient près de la porte. L'un d'eux se met à une revue des fichiers mp3 de son téléphone. Je supporte cinq minutes de ce vacarme avant d'aller leur demander s'il est obligatoire que tout le wagon en profite. Mes yeux butent sur des faces stupides, des boutons, des cheveux en bataille, de l'incompréhension. La musique cesse mais reprend bientôt, entrecoupée d'éclats de voix. J'abdique.


Vevey. La silhouette de la Placette a complètement changé. Je traverse des rues mouillées, d'aspect provincial. Un philodendron dans une entrée d'immeuble éclairée aux néons. Lumières vives du café attenant aux cinémas Rex. Je pousse la porte du National et suis assailli par le vacarme, les lumières, l'agitation : toute la ville semble s'être concentrée là. "C'était la dernière table de libre", me dit R. Nous sommes coincés dans le passage, entre la terrasse et la salle. On commande. On parle. A gauche, deux femmes se passent un téléphone portable. Elles regardent une vidéo qui émet un son crépitant, pointu. Je finis par leur demander, à elles aussi, si l'on est obligé de subir ça. La femme d'en face me dit "Juste deux minutes" ; est emmerdée, elle tentait une opération de charme, c'est raté. Le temps passe mais le volume sonore général augmente. Du côté du bar, les basses ronflent. A droite, une tablée éclate régulièrement de rire. Je dois mettre les mains en pavillon derrière mon oreille pour capter la conversation de R. Dans le train du retour, un Allemand soûl est régulièrement saisi d'un rire idiot, au fil d'une conversation oiseuse avec un groupe de Français. Tout au fond du wagon, un groupe applaudit et siffle un joueur d'harmonica. Chaque fois qu'une personne entre ou sort, la portière roule, juste dans mon dos, avec un raclement sourd. Mes paupières pèsent deux tonnes.

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