Douze à l'heure



Vers le milieu de l'après-midi, le soleil se voile. Rapidement, une brume grise estompe le paysage. Je la vois rouler vers le Valais, sur les montagnes de Savoie. Le projet de plage s'évanouit. Je reste à la maison. Deux textes à produire pour lundi et des interlocuteurs absents. Je sens la pression monter. C'est ainsi, je dois faire avec. Ce soir, le Poulet me lâche pour l'entraînement. Je descends à Vidy à vélo dans l'air rafraîchi. Les tocards piétinent devant l'entrée du stade Pierre-de-Coubertin. Au programme, test des 10 km sur la boucle des enfants. Cinq tours. On part. Je trouve tout de suite mon rythme. Les rapides me distancent peu à peu. Me voilà seul. Première boucle, Corbaz me crie: 12,3. Douze à l'heure: mon rythme naturel. Pas besoin de cardio, de montre, de rien. Je cours à douze à l'heure, c'est tout.


Le soir tombe. Je cours le long de la haie, dans une lumière de plus en plus absente, de plus en plus bleue. L'odeur traître et les bruits de la station d'épuration; la berge sombre de la Chamberonne; puis l'embouchure, virage à gauche, un pêcheur seul en cuissardes, de l'eau jusqu'aux cuisses. Un bateau plein de lumières au large. Les pelouses de Vidy. Un cri de corbeau. Voici que le temps a fait une boucle. Je me retrouve ce printemps, à la préparation de Hambourg. Mêmes lumières, mêmes lieux, même rythme ; mêmes corbeaux. Douze à l'heure. Je décide d'abréger: trois tours suffiront, demain on court à La Sarraz, il faut garder du jus.
Je remonte en vélo par Malley. Il n'est pas 21 heures mais la nuit est bien là. La pente noire de l'avenue sous les lumières orangées. Les cafés où je ne vais jamais. Au fond du magasin turc "Gül Market" violemment éclairé, une pelouse de football sur un large écran de TV. Enfin, la silhouette sombre de mon immeuble. Le sifflement des bus. Il fait doux. L'été est encore là : une présence morte, tiède, qu'on oublie. Sur ma terrasse, je regarde les lumières de l'ouest. Quelques phares vifs surnagent dans une mer de lumignons. Pas un souffle. En face, Evian tremblote derrière le lac de bitume. Ou alors le temps fait une pause? Fuchsia, tagètes en fleurs, feuilles pâlies de l'hortensia... L'été, qui fait semblant d'être éternel.

Lire aussi
Oh! les beaux jours

Articles les plus consultés