Genève - La Sarraz


Genève. J'observe les citadins en attendant le bus, rue du Stand. Une longue femme en sandales. A quoi ressemble son intérieur? Le Rhône, que le lac vient de délivrer, bouillonne silencieusement en se ruant dans son carcan de murailles. Image tremblée d'un vélo que l'on a jeté à l'eau. Tourbillons incessants avant le pont de la Coulouvrenière. Je monte dans un bus bouillant qui ahane péniblement vers Lancy.
Une table encombrée de câbles, micros, matériel pour visioconférences. Climatisation, vitres sablées. Un business center à parois ocres et moquettes bleues. Le type, nom hispanique, la trentaine, chemise bleue, peau basanée, bagues en or, me parle pendant une heure dans un jargon qu'il me faudra bien traduire en 6000 signes de langage clair. "Y aura-t-il un site de revue?" me demande-t-il enfin. (Je comprends qu'il souhaite voir le texte avant publication - la confiance règne...) Je ressors. La rue est bordée d'immeubles monotones des années cinquante, balcons en dentelle de béton, comme il en existe tant à Genève et qui donnent à la cité cet air poussiéreux, ce parfum dominical et mortel d'ennui profond.
A Cornavin, j'appelle le Poulet en montant dans le premier InterCity en partance pour Lausanne. Mais il ne veut pas venir courir. J'irai donc seul à La Sarraz. Le train accélère et file dans un sifflement étouffé, avec un léger roulis. Les crêtes du Jura se dorent dans une fournaise aveuglante. Défilent des champs de tournseols brûlés. La gare de Nyon traversée à grande vitesse (je pense à Sylviane - que devient-elle?) Puis c'est l'opulence verte de la Côte qui défile, les vignes à maturité sur la rondeur du coteau. A Lausanne, je monte dans un omnibus bondé. Je reste dans l'entrée, à observer les visages de mes voisins: un Indien écoute son balladeur, un ado mange un hamburger et des frites, assis par terre ; un jeune brun aux yeux trop proches du nez et souliers pointus me regarde ; un type monte à Renens, rouge et suant ; un autre, les cheveux longs, parle fort à son voisin pour couvrir le bruit du convoi.
La Sarraz, 18 heures. Le vestiaire a été déplacé - je marche jusqu'à la cantine pour rien. Départ. Il fait chaud. La course est difficile, irrégulière. Je dépasse le type rouge et suant du train, il porte un singlet du Stade Lausanne. Je me motive en observant les plus belles jambes, en suivant leurs propriétaires. Les kilomètres défilent malgré tout. Enfin, le dernier plat le long de la Venoge. Au km 7, je dédie les interminables derniers 1500 mètres au Poulet qui m'a lâché. Je m'assois sur le terrain de foot près du grand type qui semble me draguer. Fausse impression. Retour au vestiaire. On passe sous des noyers majestueux, fatigués par l'été. Aux douches, je m'aperçois que j'ai oublié mon linge. J'emprunte celui (taché de javel et malodorant) d'un type qui vient de s'essuyer. Sous la cantine, j'avale vite une assiette de poulet curry. Les tocards s'installent à ma table. Je leur fausse compagnie - j'ai un quart d'heure pour regagner la gare. Sur l'iPod, je rejoue pour la nième fois "Two specialists" d'Eddie Silverton [je ne me lasse pas de ce mélange de percussions nettes et de voix masculines qui scandent: Ambaaaa! - Hambaaaa!] Quelques personnes sur le quai, en face d'une gare de maquette. Dans le talus sec et fauché, quelques grillons enchantent le silence.

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