La possession

Tu m'accompagnes à nouveau. Je suis fébrile. La drogue me donne une voix que je n'aime pas, les mots se précipitent dans ma bouche et en sortent en vrac, mal dégrossis, trop vite prononcés. Au salon, j'allume quelques lumignons. Je sers à boire. On s'installe dans le canapé. Je fais semblant de m'intéresser à ton propos mais je ne peux rien retenir car je te veux. Je couche un drap de bain sur le pouf, il reste un vieux flacon d'huile pour massages parfumée à l'ylang ylang que j'étends sur tes hanches, ta peau blanche; mes doigts remontent le long de ta colonne, ta tête s'enfonce dans l'oreiller, tu soupires, mes mains redescendent, suivent les os de tes côtes. Les substances font leur effet, je masse de plus en plus fort, je pense de moins en moins, je crée entre mes doigts un bourrelet de peau que je fais coulisser, remonter de tes reins vers ta nuque. Maintenant je te masse avec mes coudes, mes mains redescendent vers tes fesses que j'écarte; je passe ma langue dans l'odeur secrète, tiède et humide, le contact rude des poils, tu te retournes. J'ai pris le flacon de lube, j'en inonde nos ventres et ce qui saille, je me colle à toi, nos souffles emplissent la pièce, le temps se contracte; parfois, au fond de la cuisine, la pendule sonne des heures floues. Nous continuons. Dehors un jour liquide s'installe lentement. Tu jouis mais je sais que je ne pourrai pas te rejoindre, parce que trop loin de mon corps, accaparé par la captation, parasité par mon esprit qui émet des signaux connus et détestables. En réalité je voudrais te séduire, te posséder, te dominer - mais c'est impossible car je suis ton plan B. La frustration née de ce désir obscur mais contrarié m'éloigne de toi; reste une blessure narcissique. Par certains côtés, les substances que notre sang charient nous rapprochent mais simultanément, elles nous éloignent. Mon plaisir est sous l'éteignoir. Ta liberté égale la mienne. J'éteins les lampes inutiles, les bougies crépitent et fument dans la lumière indécente du matin qui ne nous appartient pas. Nous allons dormir quelques heures et puis tu t'en iras. Nous nous recroiserons bientôt, au hasard, cet hiver; il fera nuit, nous transpirerons, les parois métalliques du Laby vibreront, tes yeux regarderont à nouveau par dessus mon épaule - car je suis ton plan B.

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