Adieu douceur


Samedi, café sur le balcon. Je prends une photo en me disant que c'est certainement la dernière fois de l'année que la météo m'offre ce plaisir de déjeuner au grand air. Je me souviens que j'avais déjà pris, en frétillant, une photo de ma table ce printemps, le jour où le climat m'avait permis de renouer, pour l'année, avec les petits déjeuners sur la terrasse... Quelques instants plus tôt, les oracles radiophoniques présidaient pour ce dimanche des pluies, des neiges à 800 mètre d'altitude et des températures "de saison". Le mauvais temps viendra, annonçaient-ils, du nord-ouest. Derrière moi, des moineaux criards s'aventurent entre le buis, le rhododendron et le magnolia. Les rayons du soleil me chauffent la nuque. Mais en face, je vois déjà de sinistres écharpes sombres déborder les crêtes du Jura. Un voile pernicieux ternit le miroir bleu-gris du lac... Il est temps d'enfiler, une dernière fois, ma tenue de course estivale, temps de partir pour une dizaine de kilomètres au trot, direction Crissier. Je cours légèrement le long des routes dépeuplées, en me demandant où sont les gens. Dans les centres commerciaux, probablement, en train d'acheter des téléviseurs géants, maintenant que les prix les rendent d'autant plus abordables que la TVA n'a pas encore augmenté. A Prilly, le chantier des "Miroirs du Léman" est terminé. La réalité est bien prosaïque: une série de bâtiments cubiques s'alignent sur l'ancien terrain vague envahi de chardons. Une femme jeune en t-shirt rose débouche d'un des immeubles. Elle sort ses poubelles. La vie est bien là... Je poursuis, toujours léger. Le chantier de réfection de la rue des Alpes touche à sa fin: ils ont élargi les trottoirs, posé des pavés, créé des platebandes. Ici aussi, la place laissée aux voitures s'amenuise. Tant mieux. Au pont de la Mèbre – le point bas de ma boucle – coup d'oeil rituel au petit jardin du pied d'un immeuble locatif ingrat. Là, un rez-de-chaussée se barricade derrière un épais rempart de dahlias. Du salon, cette famille doit contempler avec satisfaction, à travers les voilages épais, son oeuvre botanique. Voici Renens où s'achève le chantier dit du "coeur de ville". La Coop s'est insallée, comme le veut un usage bien helvétique, en face de la Migros. La voirie semble chamboulée: il faudra aller voir à quoi ressemble cette place redessinée. Toujours léger, j'amorce la remontée dans la douceur, la caresse du soleil. Vers le garage Filisetti, je fais attention en traversant, me souvenant d'une récente chute, un peu cuisante, au même endroit, là où le bitume déformé fait des vagues traîtresses si l'on court "assis", comme disait Anita Protti. Une raillerie de l'ex championne du 400 m. haies à l'attention des marathoniens qui économisent leur foulée. Dans mes oreilles, Paris de Nick Warren, avec ce passage curieux où la musique semble émaner d'un xylophone plongé dans l'eau. Pour ces derniers kilomètres, je m'emplis les yeux et le coeur de ce restant d'été. Comme certains plats cuisinés, il est encore meilleur réchauffé.

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