Let's twist again

Télévision encore, hier soir. (Il faut dire qu'avec ce temps, on n'a qu'une envie: se calfeutrer chez soi et n'en plus bouger.) Soirée vieilleries, à nouveau: les années 60 sont à l'honneur cette fois. Les archives visuelles de ce temps-là sont autrement plus captivantes que celles des années 80. Elles ont la patine, le charme des images en noir et blanc des temps vraiment révolus. (Mais peut-être est-ce la un stéréotype? peut-être que j'idéalise cette époque que je n'ai pas moi-même vécue ...) Mieux faite que celle de l'autre soir sur les heighties, l'émission est consacrée aux yéyés. En gros: la période allant de 1960 à 1966, année qui marqua indéniablement un cap – 1967 jalonnant le début d'une nouvelle ère, celle du flower power, des drogues, des hippies. La première moitié des années 60, nous explique-t-on, a été celle de l'émergence des jeunes comme prescripteurs, puis consommateurs. Pour la première fois, les "idoles" avaient l'âge de leur public. En France, en s'appropriant la musique rock des Etats-Unis, en l'adaptant, cette jeunesse a fait sauter le corset de l'establishment gaullien. Selon le commentaire, cette génération (donc celle des personnes nées dans la première moitié des années 40) a été la première a manifester ainsi, ouvertement, "son envie de jouir". On nous montre des images tournées au Golf Drouot, à Paris, club phare de cette jeunesse qui voulait juste danser les mille et une danses à la mode, qui flirtait à peine et ne buvait guère que de la limonade (ils avaient 17 - 21 ans). C'était frais, c'était gai.
Ce qu'il y avait de particulier à cette époque-là, c'était les danses de groupe, les mouvements d'ensemble, comme le madison, le mashed potatoes. Des pas codifiés. Tout le monde les connaissait. Alors on ne danse plus en couple; on ne danse pas encore seul. On danse ensemble. Quelqu'un dit dans le reportage: "La jeunesse aime se tenir chaud". Cette réflexion me frappe. Quand j'avais moi-même l'âge de ces jeunes, j'étais passionné par cette période, le début des années 60. A l'adolescence, quand une vague de revival remettait les sixties au goût du jour, j'avais beaucoup interrogé ma mère sur cette période, sans obtenir d'elle que des réponses vagues, insatisfaisantes: non, elle n'avait pas écouté Salut les copains. Elle n'avait probablement gardé de ce temps que les mêmes souvenirs flous que j'ai, moi-même aujourd'hui, des années 80. Toutefois, je sentais bien que ma génération ne créait véritablement rien encore, rien de galvanisant, rien qui mobilise les foules comme en ce temps-là. Mon sentiment était que tout avait été inventé, qu'on ne faisait plus qu'emboîter le pas. Alors que j'avais l'âge des clients du Golf Drouot, j'étais déçu par une impression de vide, d'absence d'énergie mobilisatrice collective, à coup sûr fantasmée. Aujourd'hui, je me rends compte que j'étais en prise avec mon temps – un temps qui n'était pas tellement à la légèreté, à l'insouciance, plutôt imprégné de quelque chose de plus torturé, de sombre, alors même que j'aspirais inconsciemment à retrouver l'innocence et la fraîcheur qui avaient dominé vingt ans plus tôt.
Bien sûr, il faut toujours du temps pour reconnaître ce qui émerge d'une époque, ce qui caractérise une génération. Et il me semble bien que lorsque cette énergie particulière s'est cristallisée, lorsque ont eu lieu des manifestations distinctes, typiques de leur temps et propres à ce qu'on a appelé plus tard la génération X, il me semble que lorsque mes contemporains ont trouvé leur propre manière de "se tenir chaud", j'ai loupé ce train-là. Aveuglé par la certitude que rien de nouveau ne se produisait, je n'ai pas capté immédiatement l'air du temps. Je cherchais alors à ressusciter des périodes révolues; je raillais les distractions de mes pairs, sans voir qu'elles auraient pu me plaire. Je me suis tourné vers l'intérieur de ma coquille, je me suis embarqué dans une vie dont j'avais temporairement lâché le barre. Il m'a ensuite fallu du temps pour quitter les bras morts, pour rattraper le courant porteur.

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