L'heure d'hiver

Comme on attend une brèche dans le flot de voitures pour traverser l'avenue, je regarde les maisons d'en face. Façades penchées, de brique foncée ou enduite, percées de généreuses fenêtres éclairées, qui dévoilent des intérieurs toujours tentants pour l'oeil. Au-dessus, des pignons compliqués, une paire de cheminées symétriques piquent le ciel de fin d'après-midi. Ciel gris, ciel bas, ciel humide: c'est le dernier jour d'octobre. Alors, tout le poids de l'automne, des pluies, des froidures à venir me pèse soudainement sur les épaules comme une cotte de maille.
Samedi soir, on embarque devant la gare dans un car bientôt rempli de quadragénaires aux visages marqués, vêtus de noir. Le chauffeur roule lentement à travers d'obscures et humides banlieues jusqu'à Zanstad, une ville des alentours. Dans une zone industrielle, nous voici dans une boîte dont on ne soupçonne pas la taille. Des boyaux de sous-sols se déroulent, grillages tendus de toile cirée noire, garnis de bottes et de cuissardes en caoutchouc. On va et vient dans ce dédale que l'on met un certain temps à apprivoiser, en s'aidant des sources sonores – il y a deux pistes de danse. Sur la plus grande, j'offre une vodka à un géant de deux mètres, encore rehaussé par une paire de cuissardes à talons hauts dans lesquelles je plonge mes mains. Des bras qui n'en finissent pas gainés de longs gants en satin cramoisi. C'est J*, un homme plein de fantaisie avec qui je passe un moment délicieux. Quand on remonte dans le car du retour, il faut reculer les horloges d'une heure.
Le lendemain est une journée express: à peine réveillés, il faut déjà se préparer pour la prochaine fête – la Rapido commence à 16 heures. On suit Marcel à travers la ville crépusculaire jusqu'à l'ancien temple. Longue file d'attente. Dedans, light show sophistiqué au laser, bain de foule moite: l'ambiance est à peu près la même qu'en 2008, en plus sympathique. Avec nos estomacs presque vides, les drogues nous assomment brutalement: suée d'enfer, vision troublée, jambes coupées, il faut attendre de vomir pour que la nausée cède la place au plaisir. On peut alors faire les clowns avec Marcel, en passant nos têtes et nos bras à travers les trous d'un décor en plastique gonflable. Des Italiens en goguette nous photographient. Un peu avant minuit, la satiété arrive: temps de rentrer. On traverse le Dam, puis la Warmoestraat encore pleine de monde.
Le lendemain, on promène le chien dans des parcs déserts, empesés de brume. Quelques parties de cartes, un repas, puis, vers 19 heures, les garçons nous raccompagnent à la gare, bondée. Nos âmes sont javellisées. Je redoute d'affronter l'aéroport. A Cointrin, l'omnibus de 23h12 sera bien pire.
Adouléba
Kowé
Odiyéba
Obéyéyé!

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