Oslo S


Lumières furtives, comme étouffées, le long de la voie ferrée parcourue à grande vitesse. Une première neige comme de la farine qui s'étale sur le bitume des quais de quelques gares de banlieue désertes, au passage du train. Puis l'obscurité bleuit: voici une rade parsemée de lumières orangées; enfin des tours, des hôtels qui pointent le ciel nocturne et glacé. L'hésitation des jours précédents s'est dissipée la veille. Annoncer ce voyage à la cantonade m'a forcé à le faire, empêché de céder à la paresse. Un seul bagage à main: mon sac doit repasser au scanner. Sur l'écran rosâtre, les boucles de mon harnais font un dessin amusant. Alors voici Oslo S, la gare centrale, avec le parking peu éclairé où tu m'as donné rendez-vous. Un tunnel, des routes, et puis une presqu'île campagnarde. Ton studio est comme un cube inséré dans un curieux immeuble boisé. Arriver dans une ville inconnue de nuit est une étrange impression: on n'en capte que des bribes; il faut attendre le lendemain pour les assembler, confronter la fugacité des images à la réalité diurne.
Samedi: ciel gris, bas, le froid humide transperce, il neigeotte. N'importe: les mendiants sont là aussi, assis sur le pavé. On se réfugie dans un vieux café. Par la fenêtre, la perspective grise d'une rue qui tremble au passage d'un tramway bleu. Peu avant midi, la lumière semble celle d'une fin d'après-midi de janvier. Les magasins brillent, les gens vont et viennent. Une vie ordinaire dans une ville ordinaire. Nous voici à l'opéra, un immeuble neuf, délibérément emblématique, certainement ruineux. A la fois léger et massif, on peut en escalader les façades comme celles d'une pyramide moderne, candide, presque lumineuse comme elle émerge de l'eau brune et grise. Le dimanche, tu m'emmènes voir d'autres quartiers, ceux d'une cité tranquille, qui doit se recycler, comme toutes les vieilles villes européennes. Une grosse heure de promenade, un avant-goût de l'hiver qui nous attend plus au sud. On s'assoit pour le brunch dans un restaurant à la mode, murs de briques, clientèle à peine trentenaire – la mode ici semble de garder son bonnet à l'intérieur. Vers 16h15 la nuit tombe, les vitrines s'obscurcissent. Il fait noir quand nous sortons. On passe un pont sur une rivière où crient des canards colériques. Puis des quartiers administratifs, constellation d'immeubles massifs, hauts, sans âme; des tours piquées de hampes porteuses de caméras surveillant des esplanades désertes et mal éclairées. On se croirait à Bruxelles... Revoici ta voiture, la route nous ramène à Oslo S. On se quitte sur le parking, le week-end est fini. Ce voyage m'a dépaysé – le grand, comme le plus petit que nous avons fait samedi soir, sans même quitter ton studio si bien chauffé. Un voyage presque immobile: j'étais un aveugle manchot que tu guidais, et qui n'était jamais vraiment sûr d'arriver à bon port.

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