De : Jeremie Kao
Envoyé : lundi, 20. février 2006 15:05
À : Monsieur Jacobi


A nouveau j'ai à me plaindre du Thalberg Zurich-Lausanne.

Quand ce ne sont pas les voitures qui grincent ou la conduite qui est chaotique, ce sont les passagers et les circonstances extérieures qui nuisent au Plaisir du Rail.

A l'aller, une famille allemande alternative s'est installée - sans me demander mon avis - à proximité de mon repaire (que j'avais pourtant pris soin de calfeutrer dès mon installation à l'aide de minimusique, bâches et treillis militaires, flocage d'un mélange d'étoupe et vaseline et même panneaux de laine de pierre). Rien n'y fit.
Les jeunes enfants ont vaqué librement, braillant, riant, hurlant, pleurant, durant tout le trajet. Les parents restèrent bien sûr impassibles. Une fillette a même grimpé sur le siège voisin du mien. Sa soeur se promenait les mains dans la partie arrière de sa petite culotte, puis les appliquait soigneusement sur tout ce que l'on est susceptible de toucher (acoidoirs, fenestrons, poires en caoutchouc des portières, cornes de brume, etc.) J'ai essayé de me réfugier dans la voiture bar. Elle était calme, mais envahie de vents coulis qui s'engoufraient de toutes les portes à claires-voies. Il remontait de l'escalier de la cave des relents de vieux pétrole et de fosse septique. Frigorifiée, la pauvre provodnitsa se serrait dans trois couches de châles à mazout qui empestaient, et se collait à son samovar, me servant avec des mitaines canadiennes (d'ailleurs douteuses)... Par ailleurs, le vent du convoi faisait grincer l'enseigne extérieure, que personne ne jugeait utile de replier dans les nombreuses gares desservies.

Au trajet retour, j'ai à me plaindre du temps. Dans les azimuts de la ligne que l'on préfère le plus souvent ignorer, ce n'étaient que brumes, humidité, vilains entrepôts lépreux, laideur rapide mais rémanante. J'aimerais, M. Jacobi, que votre Régie ne change pas aussi impromptument de décor. Celui de l'aller convenait parfaitement. Trajet retour toujours, au long des lacs sidéraux, j'étais tellement ébloui par les rayons de Mercure que j'étais scotché à mon siège, pleurant. Il y avait dans les anciens wagons du TEE, je crois, des lunettes antigamma in the seat pocket in front of you, que l'on ne retrouve plus sur les compositions d'aujourd'hui. Pourquoi?

Enfin, j'aimerais savoir quelles mesures vous entendez prendre contre la tristesse du dimanche soir. La plus intelligente serait peut-être de penser à abandonner l'usage des lampes glauques ou orangées qui baignent les Bahngelände de lueurs glaciales, fantomatiques. Certains établissements de nuit disposent aujourd'hui de toute une gamme d'éclairages chromatiques Pantone, observables à l'oeil nu, dont les chrominances ne sont que très peu troublées par les fubftanfes.

Monsieur, je vous harcèlerai tant que vos services ne seront pas à la hauteur de mes expectations, et vous le savez.

Votre:

Jérémie Kao
Villa l'Assomée
Rue de la Descente
4448 Saint-Joint

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De : Monsieur Jacobi
Envoyé : lundi, 20. février 2006 15:27
À : Jeremie Kao
RE : Monsieur Jacobi,



Réponse automatique d’absence de bureau

Je n’y suis plus pour les Glandus de votre calibre pour cause d’invitation à Turin-les-Glissades et étude approfondie des rames du futur. Encastrées dans des pistes de bob glacées mais néanmoins chauffées au laser par en-dessous pour le rayonnement stello-intérieur et extérieur de Notre Précieuse Clientèle, les wagonnées de demain iront du train du futur, 2000 km/h au plus bas chronométrophage. La légère déglaciation due au laser assurera une moite et douce glissanterie de gare en gare. Aurores boréales garanties. Les compartiments comporteront feux de cheminée, ouate-à-dos, chasse-mouches manœuvrés à main par manette depuis la cabine du chef mécanicien. En classe Economy, la grillade du cervelas sera autorisée. Prière de prendre le ticket d’attente à la gare la plus proche ou par internet et imprimante.

Les voyageurs de la ligne du Thalberg seront priés de passer par Rovianemimi-les-Moustiques – où du haggis de renne leur sera servi sur assiettes recyclables car taillées dans la banquise – pour gagner les étables louso-valdoniennes. La ligne elle-même sera balancée avec son contenu en bas du Bergthal où les ferraillo-découpeurs d’Ashneeglam en feront de la pâtée pour Hauts-Fours tridéliens. Une ligne spéciale, sous tunnel, transportera les carcasses d’ici en là.

Donc, lâchez-moi les baskets avec vos chialeries et grinceries passéistes. On a autre chose à faire.

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